jeudi 4 avril 2013

Spring Breakers



Je sors de Spring Breakers, et je dois le dire, globalement je n'ai rien appris.
À part Selena Gomez. Selena je t'aime.




Les filles en maillot de bain, je savais.
Les filles en maillot de bain qui prennent de la drogue, je savais.
Les filles en maillot de bain qui prennent de la drogue et font des trucs nazes avec des gros cons, je savais.
Les filles en maillot de bain qui prennent de la drogue et font des trucs nazes avec des gros cons et se demandent si, par hasard, être en maillot de bain et prendre de la drogue et faire des trucs nazes avec des gros cons ne leur apporterait pas, aussi, quelque chose de la vie et quelque chose d'elles-mêmes et ne serait pas, finalement, l'un des visages de leur bonheur, je savais.
Les filles en maillot de bain qui tout en faisant tout ça, tâtonnent en courant dans les rapports conflictuels du plaisir et de la morale, de l'immoral et de l'illégal, et explorent dans l'expérience un bonheur parfois nul et parfois dangereux et parfois cruel mais bonheur pourtant, son ivresse irréductible, ses dommages collatéraux, le mal qu'elles peuvent faire - des morts, des vols, des mensonges -, celui qu'elles se font - par chance, seulement une balle dans le bras, métonymie qui jette sur le corps de l'une d'entre elles l'ombre de tout ce qu'elles auraient pu détruire d'elles-mêmes -, bon, il se trouve qu'on savait aussi, mais quand même, c'est la partie la plus intéressante du film. Après Selena Gomez.




Et sans doute, le plus beau moment, le plus pur, le plus vrai et le plus innocent : quand elle ne comprend pas l'arrestation, et que très sincèrement elle songe : "nous nous amusions, nous ne faisions rien de mal".
Moment qui ouvre la faille des loisirs tolérés ou non par un code social, des bonheurs tolérés ou non par un code légal, des ivresses tolérées ou non par un code moral, des personnes, des actions, des comportements, tolérés ou non par un code de vie.
Et la faille de ce lien entre l'enfance et l'âge adulte, où un être de désir devient - ou non - un être de codes.
À ce moment, même si c'est pour la drogue, même si c'est pour l'alcool, même si c'est pour le paroxysme des clichés festifs et de la déchéance, Faith est belle et pure comme Ève, comme qui se promène nue sans soupçonner le regard des hommes, le jugement des autres, sans imaginer le regard de Dieu s'assombrir à la vue de sa nudité heureuse.





Ensuite.
Britney Spears, je savais. (Ô combien. Forever and ever.)

Les méchants gangsters, le culte de l'argent, des armes, des possessions, de l'avoir, aux dépens de toute morale, de toute idée du bien, de toute transcendance, de toute valeur qui unirait sous elle la jungle multiple et sauvage de la vie et des actions, on savait. C'est bien de le rappeler, mais c'est tellement explicité qu'à un moment on a quand même envie de répondre : oui oui, merci beaucoup, mais on savait.

Ensuite… bon, le méchant gangster effrayant qui suce des bites métaphoriques avec le canon de revolver des filles… si on y tient…




Une chose surprend tout de même, c'est cette idée que l'on puisse, c'est-à-dire, qu'elles puissent, même le soir, quand il fait nuit et qu'elles sont dehors, dans la rue ou devant un convenient store, rester en maillot de bain et manifestement sans avoir froid. Et cette information nous prouve une chose, c'est que nous sommes ici en avril, qu'il pèle, et que nous avons soif d'un été qui rappelle ce que sont les étés : de la chaleur qui vient de l'intérieur, au lieu de couvertures de confort ajoutées à des corps qui ont froid.
L'été, nous n'en avons plus l'habitude.




Ensuite au-delà de tout ça - et aussi, des acteurs et des actrices, qui sont tous à peu près parfaits -, la question est toujours un peu, bon, on n'a pas appris grand-chose de nouveau, d'accord, mais est-ce que c'est un bon film, est-ce que c'est un beau film, est-ce que pour dire ces choses-là c'est inventif, c'est étonnant, c'est créatif, c'est émouvant, ça fonctionne…

C'est un peu embarrassant, c'est un peu compliqué de répondre, c'est la réussite sans doute d'Harmony Korine, c'est qu'on ne peut pas vraiment répondre à cette question. Enfin moi je ne peux pas vraiment. Enfin je pourrais, mais quelle que soit la réponse, ça serait forcément réducteur.




Est-ce que c'est un mauvais film ?
Non, on ne peut pas dire c'est un mauvais film. Il a des maladresses : par exemple, le bruit récurrent de chargeur de revolver réverbéré, comme une ponctuation entre les chapitres qui semble vouloir annoncer le pire, c'est un peu maladroit, c'est appuyé. On se dit, "non, mais à la fin, on verra qu'en fait ça se justifiait, là ça a l'air un peu lourd et superflu, mais en fait, ça prendra son sens à un moment". Alors oui, bien sûr, comme il y a des coups de feu et des morts, techniquement ça a du sens. Mais était-ce vraiment nécessaire ? Est-ce que ça ajoute quelque chose ? Est-ce que ça crée plus d'espace, plus de suspense, plus de beauté, plus de pertinence formelle, est-ce que le film est mieux avec ? Non. Alors pourquoi les laisser ?

Bien sûr, Korine place son objet pile au croisement entre le bon et le mauvais goût, entre le clip et le cinéma, entre le poétique et le publicitaire, comme il place ses filles au croisement du bien et du mal, insolublement une jambe dans chaque monde - ou plutôt, peut-être, au croisement de l'inconscient et du coupable, de l'innocent et du criminel.

Bien sûr, Korine est au fait, et il en joue, de ses effets de style dont on ne sait pas très bien s'ils sont beaux ou clinquants, touchants ou agaçants, comme ces filles, nous ne savons pas bien si nous les blâmons ou si nous les plaignons, si nous les jugeons ou si nous les aimons.
Sauf Selena Gomez.




Mais tout de même. On ne peut s'empêcher de constater qu'il y a quelque chose, au-delà d'une sensibilité talentueuse certaine et d'une sincérité qui ne fait pas question, il y a quelque chose qui tient légèrement de la recette, de la préparation suivie comme on se reporte au mode d'emploi, dans cet ensemble formellement relativement convenu que constituent : la gamme de couleurs (elle est belle, mais parmi l'ensemble des procédés, elle deviendrait presque une partie d'un code formel de bon élève) ; les flash-backs par ci et les images prémonitoires par là, disposés à égale distance comme des bornes sur une route où elles ne surprennent plus vraiment ; à un moment, pour en dévier, vient le petit "truc" un peu "malin" de la main en sang, image prémonitoire qui prend un sens contraire à celui qu'on supposait, lorsque la scène entière arrive dans le déroulement présent… mais est-ce vraiment surprenant ? Est-ce vraiment sortir du schéma ?
Également, l'usage de la musique, à qui est déléguée une forte charge de discours, et qui alterne assez binairement les technos dégueulasses quand on est à la plage avec les gros cons, et les musiques trendy quand il faut être plus ému. Plus le rap pour les gangstas.




Également, dans le déroulement de la narration, les supposés "chocs" d'immoralité ("oh mon dieu, comment ont-elles pu faire ça ?") qui tentent de nous secouer : si ce n'est qu'en fait, depuis la première seconde, le film annonce en grosses lettres : elles sont tellement immorales ! Donc à un moment, on est tellement prévenu, que si elles ne découpent pas un chat pour dessiner Hitler avec ses morceaux de couilles, on est presque un peu blasé.
On n'est donc au final pas tant bouleversé que ça par leur scandale tant annoncé (tuer, faire des trucs cochons à trois, voir mourir leur ami sympa sans prendre le temps d'en être émues), dès lors qu'il advient au sein d'un décalage si appuyé entre ce qu'elles seraient censées être - des jeunes filles mignonnes et sympas - et ce qu'elles sont aussi, non pas à la place, mais à l'intérieur de cet être jeune fille : des bitches, des animales, des êtres en quête de leur plaisir sans que l'humanité de l'autre serve de barrière à leurs actions, des filles en maillot de bain qui dansent entre copines et des monstres froids, des estomacs à fric, dont la volonté de puissance les fait aller toujours plus loin dans le grave, dans une indifférence morale dont nous sommes prévenus dès le début, et qui clignote à chaque minute.




Tout cela ne fait pas de Spring Breakers un "mauvais film". Mais tout de même, tous ces défauts visibles dont on espère au long du film qu'ils vont se résoudre quand tel autre élément - narratif, filmique, autre - arrivera, comme le bleu soudain se résoudra en vert quand arrivera le jaune, toutes ces maladresses, à part un ou deux moments de grâce, finalement ne se résolvent pas vraiment et laissent quelque peu sur sa faim celui qui avait envie d'aimer le film.




Ensuite question inverse, est-ce un "bon film" ? Ces termes n'ayant pas de définition, les choses commencent à se corser. Disons donc plutôt : est-ce un bon film, selon les critères de bon film qu'instaure ce film ?
Parce que c'est un peu ça, la vie, un film : l'idée, le contrat, c'est un peu que chaque film invente une certaine manière d'être un bon film, en la faisant exister en existant.

Alors, oui, Spring Breakers invente quelque chose. Indéniablement, il fait advenir un certain objet, un certain ensemble d'affects, d'images, de séductions, de répulsions, parfois d'émotions, de colorations, qui dépose, très humblement et dans une forme de "gentillesse" envers le spectateur - au sens le plus valorisé du terme - sa singularité et sa sincérité, ses talents (ils sont maquillés par les maladresses, mais ils sont incontestables ; comme la beauté de ces jeunes filles, maquillée par quelque chose de laid qui les dépasse, rayonne dessous ineffaçable), et cet objet qui en résulte et qu'Harmony Korine propose, a des charmes, de l'honnêteté, du désir, et donne beaucoup, beaucoup de soi, c'est perceptible, pour nous les faire partager.

Ce qui sont d'excellentes raisons d'aller passer un peu de temps en compagnie de ce film.




Et parmi ces laideurs, ces violences, ces indifférences à l'autre, ces moments où l'humain et l'inhumain se croisent et se serrent la main comme deux vieilles connaissances qui ne s'étaient jamais quittées, scintille l'innocence belle du personnage de Faith - Selena -, étrangère à toute idée de mal, à tout calcul, à toute compromission avec la cruauté : petit diamant émouvant de post-adolescence incorrompue, qui serait passée à travers le début de la vie, et quelques rencontres, sans que son âme en soit salie, ni son vœu d'être heureuse, de s'amuser, de se sentir bien.




Il reste après-coup comme une atmosphère, à la fois émouvante et doucement superficielle, à la fois musicale et ponctuée de détonations, à la fois sexuelle et désincarnée dans le métal des armes à feu, les dents en argent, les fesses anonymes.

Et il reste aussi, par-dessus tout cela, autour comme une ligne distendue de nuage, comme l'écho sonore aux traits de Selena Gomez, une délicieuse chanson de Britney Spears, Everytime, qu'elle chantait dans ce temps où elle était, elle aussi, jeune et innocente.


On the other hand, c'est aussi un film qui, peut-être par une forme de légère immaturité cinématographique, semble un peu en-dessous, non pas vraiment de ce qu'il aurait pu être, ni de ce qu'il aurait dû être, mais simplement, de ce qu'il aurait voulu être.