lundi 20 décembre 2010

You've got everything now


J'ai 33 ans.

De ce que j'observe, les gens de ma génération, et de mon milieu ou de ma classe sociale - l'échelle large de la classe moyenne - se divisent pour beaucoup en deux catégories : ceux qui sont engagés dans des métiers qu'ils aiment, auxquels ils croient, et qui ne gagnent pas leur vie ; ceux qui se sont engagés dans des métiers avec lesquels ils gagnent leur vie, mais auxquels ils ne croyaient pas, ou pas assez, qu'ils n'aimaient pas assez, et qui voudraient en changer.
Changement qui le plus souvent d'ailleurs, par tradition, n'aura pas lieu : habitué qu'on est à un certain confort, à une certaine sûreté, à une certaine anesthésie des craintes, des cœurs, des corps, à un certain mensonge posé sur le regret et l'insatisfaction, l'idée du risque de ne plus les avoir avec soi, de ne plus dormir la nuit, d'affronter sa propre douleur, son propre désir, sa propre incertitude et le caractère vaguement injustifiable de sa propre histoire comme de celle de n'importe qui, prévaut, dans la plupart des vies, sur celui de rater son existence.

Comme le disaient les Smiths, Now who is rich and who is poor I cannot say.
La chanson, "You've got everything now", se trouve sur Hatful of hollow,
une collection de quelques singles mais surtout de faces B et de versions alternatives, qui est aussi un classique : comme quoi c'est encore, c'est parfois, c'est encore une fois, dans les lieux obscurs, mal rangés, hors des quadrillages, du prédéfini, des il faut et des on doit, que des choses existent.

C'est ici :




Oh please save your life
Because you've only got one



jeudi 30 septembre 2010

Michel Foucault, Autoportrait, Radio Canada 1971


Une interview, au demeurant fort bien menée, radieuse et lumineuse, d'une enthousiasmante densité de propos, d'une souplesse problématique à l'envers de toute restriction de la pensée à des sectarismes aveuglés - même si, bien sûr, qui jamais réchappera aux idées qu'il s'est faites ? -, enfin et presque surtout, et dans une langue superbe : d'une clarté sans-une-ombre des idées et des jonctions, de comment se lient et s'agencent et se justifient tous ces mots, ces modes de questionnement, d'affirmation et de révolte, ces comptes-rendus d'années passées à constater écarts et divorces entre existence du monde et exercice d'une parole sur, entre présence des hommes et possible émancipation, et à tâcher de les rejoindre.

Inscrite dans la corporéité inétouffable d'une voix ô combien vivante - mouvante, surprenante, mue par des forces -, la pensée de Foucault, qui par passages prend le risque de cette exposition autobiographique où le discours de sagesse peut toujours s'abîmer, et qui lui sert ici au contraire d'éclaircissement supplémentaire et d'humanisation constante du mot, cette pensée se serait-elle, un jour de 1971, donné sans le savoir 26 minutes pour offrir quelques pistes à ses camarades humains, des fois qu'elle devrait quitter le monde 26 minutes plus tard ?

Rien n'est improbable.




C'est ici :





mercredi 29 septembre 2010

samedi 25 septembre 2010

Pulp, Different Class & L'Émanglom


On pourra raconter absolument ce qu'on veut, Different Class est, au moins pour les trois quarts (*), un disque formidable formidable formidable formidable, formidable.

Un disque fait des misères de la vie et de l'énergie pour en sortir, parfois, devenues communément, et comme main dans la main, une pop superbe et étincelante, intelligente, mélancolique et sexuelle, et romantique à en crever, et à en ressusciter.



I want a refund
I want a light
I want a reason
To make it through the night




C'est ici :






(*) L'auteur de cet article s'est amusé de constater, dans cette incise, qui lui donnait une impression de déjà-ouï, la réminiscence involontaire d'une autre, "muscles pour les trois quarts", celle-là d'Henri Michaux, dans un texte consacré à l'émanglom, animal imaginaire, donc métaphorique, ou plus exactement, poétique, c'est-à-dire, dans ce lieu où la chose dite, éloignée, semble-t-il d'abord, des objets immédiats de l'expérience immédiate, n'est en fait pas la métaphore, lointaine, d'une autre réalité, plus immédiate, qu'on aurait à retrouver dessous, mais tout simplement l'expression, très immédiate, d'une réalité, très immédiate, d'une expérience du monde, que l'on ne savait pas dire ainsi, et dont on découvre, tout dans un même moment parce qu'ils se tiennent l'un l'autre, et le nom, et l'existence.




L'ÉMANGLOM


C’est un animal sans formes, robuste entre tous, muscles pour les trois quarts, et, dans son extérieur entièrement, qui a partout près d’un pied d’épaisseur. Tous les rochers, même lisses, il est en mesure de les escalader.

Cette peau si amorphe devient crampons.

Aucun animal ne l’attaque ; trop haut sur terre pour qu’un rhinocéros puisse l’écraser, plutôt, lui le culbuterait, n’y ayant que la vitesse qui lui manque.

Les tigres s’y casseraient les griffes sans l’entamer et enfin même une puce ou un taon, un cobra n’y trouve pas un endroit sensible.

Et quoique merveilleusement au courant de tout ce qui se passe autour de lui, sauf paraît-il au fort de l’été, on ne lui trouve aucun sens.

Pour se nourrir, il se met à l’eau ; un bouillonnement et surtout une grande circulation d’eau l’accompagne et des poissons parfaitement intacts viennent surnager le ventre en l’air.

Privé d’eau il meurt, le reste est mystère.

Il n’est pas inouï qu’on rencontre des crocodiles fracassés sur les bords des fleuves qu’il fréquente.



samedi 11 septembre 2010

Delphine Seyrig, Interview 1975


Dans cette interview, réalisée en 1975 par Pierre Maraval pour Cinématographe et reprise en 2002 dans Théâtres au cinéma : Marguerite Duras Alain Robbe-Grillet, édité par le Magic Cinema
de Bobigny à l'occasion du 13e festival Théâtres au cinéma, Delphine Seyrig, dont Duras dit sans faire erreur qu'elle est tout simplement la plus grande des comédiennes de France, évoque, dans des propos pleins de nuance et pleins de fermeté, acteurs et actrices, réalisateurs, réalisatrices, sa vie, les femmes et la misogynie d'un monde dont elle donne une image, fatalement, en femme de cinéma, légèrement étrangère et absolument juste.


- Ressentez-vous parfois l'absurdité de faire des films ?
- Je sens l'absurdité de travailler à n'importe quoi.











mercredi 14 juillet 2010

Lucian Freud, une jeune fille


C'est drôle, avant d'aller prendre mon train je visite l'exposition Lucian Freud au Centre Pompidou, après un moment de vive admiration je commence à me demander s'il n'y aurait pas parfois certaine rigidité dans le rapport entre le dessin et la touche - un manque, disons, d'interpénétration entre les choses, l'impression que peut-être tout reste enfermé dans sa case, fragment par fragment, sans que la toile entière rassemble et lie et fonde l'ensemble infini des morceaux en un seul tout rectangulaire -, quand parmi cette incertitude soudain une jeune fille passe, qui n'a pour elle que ses cheveux blonds, ses vêtements d'été, sa démarche flottante, un regard qui existe, et pulvérise sans faire de bruit tout l'effort d'art qui se dresse autour, puis s'en va.



lundi 28 juin 2010

Marguerite Duras et les pêches, La Vie matérielle


Ces derniers jours, j'aurai redécouvert deux choses.
D'abord, les pêches : j'ai acheté une petite barquette de petites pêches. De toutes petites pêches, que je ne connaissais pas, ce ne sont pas des pêches pêches, ce ne sont pas des pêches de vigne, des pêches plates, ce sont peut-être, je ne sais plus qui les a appelées comme ça, par supposition, auprès de qui je les vantais : des pêches naines ; en tout cas je ne les connaissais pas, j'ignore si la faute en revient à mon ignorance ou à la modernité, qui invente des races d'êtres vivants comme d'autres des modèles de voitures, mais ces pêches étaient absolument délicieuses, d'une douceur exquise, d'un sucre idéal, véritables petits éclats de joie toujours comme par surprise dans des journées dont par ailleurs on avouera qu'elles ne furent pas, sauf erreur ou omission de notre part, beaucoup plus passionnantes que si elles n'avaient pas eu lieu.
Ah si, pardon !



Et tout à l'heure, relisant dans un train les deux premières pages de La Vie matérielle, j'ai redécouvert La Vie matérielle.
La Vie matérielle est un livre un peu pour la vie, on peut facilement s'en laisser accompagner longtemps, le garder toujours un peu à côté de soi, dans sa mémoire, dans ses pensées, dans son oubli, comme dans sa poche ; il répond à des manques de ce qu'on pensait sans lui, il fait des liens, ouvre des questions, dévoile des pistes, il aide, saisit, entraîne, c'est un livre courageux et encourageant ; mais entre les lectures, les feuilletages, bien sûr, les pages deviennnent un peu abstraites, la plupart des mots disparaissent dans cette marée très douce du temps qui passe dessus. Et puis un jour on le rouvre, cette place qu'il occupe et qu'il laisse vacante, aussitôt comme d'habitude, rebrille comme quand le rayon s'enchâsse dans le vitrail jaune.
Énormément de gens, énormément de gens, vraiment beaucoup de gens, vivront très bien, enfin plus ou moins bien, ça dépend, comme on vit, sans lire La Vie matérielle de Marguerite Duras.
Il y a certainement des pays où l'on n'a jamais mangé de pêche.


Ici, 7 exemplaires neufs à partir de EUR 5,30, et 5 d'occasion à partir de EUR 3,99 :



Je suis quelqu'un qui n'est jamais à l'heure pour les repas, les rendez-vous, le cinéma, le théâtre, les avions c'est de justesse, toujours. Je me méfie tellement de moi maintenant que j'arrive une heure en avance au théâtre. Je vois d'autres gens arriver en courant de crainte d'être en retard, j'en suis enchantée. Je suis toujours arrivée à la plage lorsque les gens en partaient. Je n'ai jamais bruni à la plage parce que j'ai horreur des bains de soleil, du sable sur la peau, dans les cheveux. J'ai bruni au volant de mon auto ou en me promenant en Espagne ou en Italie.
Néanmoins et durant une grande partie de mon existence, j'ai eu le désir ardent d'arriver à prendre des bains de soleil. Ça a duré. J'élaborais des systèmes pour faire tout ce que les autres faisaient. C'est comme ça que j'étais en retard partout, j'en étais désolée. Je faisais ça, comme les autres, j'allais sur la plage, mais le soir. Je faisais les choses à moitié, pour les avoir faites, et ça ne marchait pas. Je regrette beaucoup d'avoir été ainsi, réglementaire mais jamais contente. Je me suis toujours retrouvée à la fin des étés comme une ahurie qui ne comprend pas ce qui s'est passé mais qui comprend que c'est trop tard pour le vivre.




dimanche 23 mai 2010

Turner, Automne de la couleur


Notes en visitant, vendredi, l'exposition Turner et ses peintres au Grand Palais, qui comme tant de choses, finit demain.



(Reproductions insuffisantes à insupportables, sinon à quoi servirait-il de prendre ses jambes pour aller voir ?)




Vénus et Adonis, 1803 - 1804



Les ciels et les chairs : les bleus et les blancs.

Cette dame dit : "Il aurait dû lui laisser un visage."

Les chiens, les rouges, les plis.

Volettement des anges : mouvements de la couleur.

C'est parti : un pied dans le XVe siècle - où couleur et forme, et représentation, forme représentée, histoire que l'on figure, inventent leur originelle consubstance dans ce qui devient alors la peinture -, et un pied dans l'avenir - où la peinture affirmera, d'une manière qui n'appelle plus de malentendu, qu'elle et la possibilité narrative ne sont pas dépendantes de ce qui dans le réel est visible -, Turner est partout, sauf dans le présent, ce XIXe siècle où le corps qui le porte peint.




Shadak, Méshak et Abdel-Négo dans la fournaise ardente, 1832



Les bâtiments disparaissent.
Les visages disparaissent.
Les couleurs apparaissent.
Les couleurs et le feu apparaissent ensemble.

Les choses fondent, la nommabilité et la lisibilité des choses fondent, la représentation s'affaisse : en lieu et place des figures, se lève la pure peinture.
Mais ce n'est pas "à la place", ce n'est pas que l'une se substitue aux autres : c'est que, comme l'aliment qui cuit rejette ses graisses et prend son goût, ici aussi d'un même mouvement, la figure se vide d'elle-même, pour que, remontant comme à la surface, la possibilité de couleur qu'elle gardait comme à l'intérieur éclate et resplendisse.




Avalanche dans les grisons
, 1810



Ce n'est pas de la neige, ce sont des draps blancs qui s'écroulent, c'est du gris plus sombre et ici plus clair là où d'autres auraient mis un ciel, à peine subsistent, maigres ponts vers le monde, entre la toile et lui comme des passeurs, quelques arbres.




L'ange debout dans le soleil, 1846



Ce qui fut des oiseaux vole dans la couleur.




Jessica, 1830



Interdite et interrompue, suspendue dans sa propre stupéfaction, entre verts, rouges, étoffes bleues, et ce jaune royal qui lui sert de monde, une femme.
Ou plutôt - puisqu'elle est de Shakespeare et du Marchand de Venise -, et c'est peut-être pour ça qu'elle a droit de cité ici : un personnage.
Déréalisée par son essence même, on peut donc bien la figurer.




Pilate se lavant les mains, 1830



La couleur est si vivante, a tant pris la vie aux êtres, qu'elle en est presque au pourrissement.
Matière en décomposition, surcharge de petits éclatements, comme un fruit trop mûr et trop plein.




Ce que vous voudrez ! (What you will)
, 1822



Des personnages de Lovis Corinth qui pourrissent sur un fond de Watteau.





Lovis Corinth, titre oublié, année aussi, début du vingtième siècle





Boccace racontant l'histoire de la cage à oiseaux, 1828



Les arbres.

Des constructions s'effacent, ne naissent pas, n'apparaissent que par le blanc légèrement vibrant de leur absence ou inachèvement, que couronne, équilibre et souligne la somptuosité d'abres courbes comme des cils, de forêts profondes, d'ocres de bleus et de rouges qui fleurissent et pourrissent comme des fleurs d'automne.
Et les mortes nourrissent les vivantes, comme la couleur la couleur.




La Bataille de Trafalgar, en octobre 1805, 1823 - 1824



Une pureté de voiles et de nuages qui s'affaisse, bleue grise et blanche, devant un tourbillon de corps rouges exilés de Delacroix.




Regulus, 1828 - 1837


Stries blanches et bleues de la mer, annonciatrices de l'événement d'éblouissement qui vient au-dessus, au ciel, jaune allant au bleu par le blanc.




Mercure envoyé pour avertir Énée, 1850



Comme les êtres trente ans plus tôt se résolvaient et résorbaient dans la couleur, voici que la couleur, après son pourrissement, comme après son automne, subit l'ultime étape de ce processus double de décomposition et d'immatérialisation : les êtres devenus pure couleur, voici qu'un jour, la couleur à son tour sort des choses comme chair qui s'en va, et ne laisse, dernière écume d'un monde qui fut, que lumière.



Le Déclin de l'empire carthaginois, 1817



Un paysage du Lorrain enserre, comme un cœur prêt à naître et à se répandre plus tard sur toute la toile, le Turner à venir où le jaune et le bleu remplacent le ciel.





Claude Gellée dit Le Lorrain, Port de mer au soleil couchant, 1639






Soleil levant sur une baie : solitude, vers 1849



Chorégraphie sublime des touches et des couleurs, on la regarde des heures en oubliant qu'on regarde, comme on le fait, aux douves du Palais Impérial, des fleurs de cerisiers qui par milliers dérivent dans l'eau, innombrables et lentes, lumière rose, scintillement mauve, dans la fin du soir.



vendredi 14 mai 2010

Offrande musicale et pantoufle de vair, Bach, La musique


Dans Van Gogh le suicidé de la société, émission radiophonique de 1947, Antonin Artaud affirme qu'une exposition des peintures de Van Gogh est toujours une date dans l'Histoire : pas seulement dans l'Histoire de la peinture, mais dans l'Histoire tout court.
De la même manière peut-on dire qu'une grande œuvre de Bach est toujours une des très belles choses que la terre ait portées.
Il y a, chez Bach, beaucoup de grandes œuvres de Bach.
Si l'on fait le relevé de la beauté qui existe sur terre, il est probable que parmi une infinité de noms de personnes ou de choses ou de moments ou de lieux qui passeront comme des brindilles imperceptibles dans le vent pour avoir, un 2 mai, un 20 juin, en écrivant ce mot, en cueillant ces fleurs, en se penchant à cette fenêtre, apporté de la beauté au monde, apparaîtra, un peu plus lisiblement que d’autres, le nom de Bach.
Né il y a pourtant longtemps puisque c’était en 1685, mort un peu plus récemment mais enfin, ça remonte tout de même à 1750, Jean-Sébastien Bach peut être remercié pour avoir, malgré cette impardonnable distance avec l’actualité, activement contribué à faire de ce monde, parmi ses drames, un lieu de vie extraordinaire.



Vincent Van Gogh, Champ de blé aux corbeaux, 1890
Huile sur toile,103 x 50 cm


L'Offrande musicale au roi Frédéric II de Prusse
est traditionnellement tenue pour l'un des aboutissements de l'œuvre de Bach, et de la musique en général. En raison de sa grande abstraction, ce n'est cependant pas nécessairement, malgré son caractère d'offrande, la plus aisée à recevoir.
Notre possibilité de recevoir - une musique, un film, un poème, un trait d'humour ou une personne, un goût, un parfum - n'est pas un absolu dressé dans le dedans de notre corps, parmi les veines et les vaisseaux : à chaque instant de notre vie au contraire, un ensemble inénumérable de paramètres détermine ce que pour cet instant nous sommes ; une cartographie intime se dessine, comme une statue intérieure, un paysage, une île, avec ses courbes, ses lignes, ses bosses, ses creux : ne fût-ce, parfois, que différent par millimètres de ce que nous étions la veille, de ce que nous serons l'année d'après ; mais par le jeu de mille endroits en nous où quelques millimètres plus à gauche, plus en cercle ou plus en pointe, nous bougeons, voici qu'advient ce miracle, qui est seule cause possible d'un salut s'il y en a, qu'au lieu de seulement être, nous devenons.



Gerhard Richter, Kleine Straße, 1987
Huile sur toile, 62 x 83 cm


Et comme si nous étions une main et que le monde était un gant, ou comme si nous étions un gant et que le monde était une main, ce paysage en nous figure, quoique chaque jour changeant, cela qu’entrant en nous rencontrera le monde, ce avec quoi nous l’accueillerons ; et préfigure, comme en négatif, cela qu’errant en lui nous percevrons du monde, cela qu’allant à sa rencontre, nous en rencontrerons : parce que nous n’y verrons que ce que nos yeux voient, et nos yeux voient ce qui leur ressemble, ou qui s’y assemble.

Le monde et nous-même : pantoufles de vair l’un de l’autre, l’un et l’autre changeants, lui sans cesse, lui partout, nous parfois.
Aussi devenir – altérité, merci, qui nous offres de devenir – ne sert pas à s’écarter de soi-même, mais au contraire, à s’approcher : ayant plus d’un gant dans son sac, à rencontrer mieux le monde, parce que plus de ses mains on saura les entendre ; ayant plus d’une main à son arc, à essayer différents gants, différents mondes, et en les essayant, connaître lesquels nous vont, et donc connaître nos mains et nous connaître un peu nous-même : et avec le temps, et par l’essayage, connaître quels gants, quels jours, quels mondes, nous apportent, comme dit la chanson, le bonheur.





L’homme préhistorique a-t-il inventé la métaphore ? A-t-il attendu l’écriture ? A-t-on attendu Virgile, Madame de La Fayette, a-t-on attendu Jakobson ? L’homme des steppes mogholes était-il métaphorique ?


L'Empire moghol — ou mogol — est fondé en Inde par Bâbur, le descendant de Tamerlan, en 1526, lorsqu'il défait Ibrahim Lodi, le dernier sultan de Delhi à la bataille de Pânipat.
Le nom 'Moghol' est dérivé du nom de la zone d'origine des Timurides, ces steppes d'Asie centrale autrefois conquises par Genghis Khan et connues par la suite sous le nom de 'Moghulistan' : "Terre des Mongols". Bien que les premiers Moghols aient parlé la langue tchaghataï, et conservé des coutumes turco-mongoles, ils avaient pour l'essentiel été 'persanisés'. Ils introduisirent donc la littérature et la culture persanes en Inde, jetant les bases d'une culture indo-persane.
L'empire moghol marque l'acmé de l'expansion musulmane en Inde. En grande partie reconquis par Sher Shâh Sûrî, puis à nouveau perdu pendant le règne d'Humâyûn, il se développe considérablement sous Akbar, et son essor se poursuit jusqu'à la fin du règne d'Aurangzeb. Après la disparition de ce dernier, en 1707, l'empire entame un lent et continu déclin, tout en conservant un certain pouvoir pendant encore 150 ans. En 1739, il est défait par une armée venue de Perse sous la conduite de Nâdir Shâh. En 1756, une armée menée par Ahmad Shâh pille à nouveau Delhi. Après la révolte des Cipayes (1857-1858), les Britanniques liquident le dernier empereur moghol - resté, jusqu'à cette date, le souverain en titre de l'Inde.



L'empereur Akbar (1542-1605) promeut un syncrétisme religieux, le Dîn-i-Ilâhî, qui le conduit à une grande tolérance religieuse, et à la réforme à la fois du droit musulman et du droit hindou.


On voit que furent sans doute minces les affinités entre ce peuple épris de steppes et de déclin et le directeur de chapelle de Leipzig, auteur d’éternités et père d’une progéniture généreuse malgré sa coupe de cheveux rédhibitoire.




Qu’est-ce donc, toute précaution capillaire prise, que cette Offrande musicale ?

Si l’on devait réduire à une alternative binaire trois siècles d’inventivité humaine et de révolutions artistiques, et inversement, on dirait que la tradition occidentale qui va, pour le moins, du XVIe au XIXe siècle, se partage en deux grandes manières de penser la musique, de l’écrire, de la faire naître et exister, et qu’elles induisent pour nous deux grandes manières d’entendre : d’un côté, l’harmonie tonale, de l’autre, le contrepoint.

L’harmonie tonale consiste à concevoir la musique avant tout, dans son origine, dans son essence même, dans sa matière première – comme on pourrait dire, si c’est vrai, que la matière de la littérature est dans les mots –, comme une question d’harmonie, c’est-à-dire d’accords : c’est-à-dire que la musique naît, que la musique est, où ? d’abord, dans la simultanéité de notes.



Le Lac des Cygnes, Corps de ballet de l’Opéra de Paris
Musique de Piotr Ilitch Tchaïkovski, Chorégraphie de Rudolf Noureev d’après Marius Petipa


Musique est harmonie : de la vibration spécifique produite par une harmonie, autrement dit par la rencontre de certaines notes dans un instant unique, autrement dit par la présence, choisie par quelqu’un, dans un même instant, de telle et telle et telle et telle et telle notes qui se frottent les unes aux autres, naît la musique.
Un accord, n’est pas seulement l’image limitative que nous en donne l’accord de guitare d’une chanson simplette, à savoir, pour résumer : comme une note, grossie un peu et amplifiée par deux ou trois de ses camarades, les notes avec lesquelles elle s’entend bien, qui viennent comme la soutenir par sympathie et faire, si l’on peut dire, les chœurs. Un accord, lorsqu’il se montre digne de la chance qu’il a de vivre et d’être libre d’être ce qu’il veut, ne consiste pas à faire du remplissage autour d’une note, comme on en fait, dans la mauvaise littérature, autour d’une idée, remplissant des lignes pour que ça prenne plus de place.
C’est d’ailleurs un peu comme la vie : s’il ne s’agit que de remplissage, évidemment, ça ne sert à rien de continuer comme ça.



Jeff Wall, Milk, 1984
Caisson lumineux, 187 x 229 cm


Non : de même que le bonheur de vivre naît dans l’invention de sa propre vie plutôt que dans la conformité de nos jours avec ce que l’évidence pâlotte, mensongère, l’ordre des choses, ou son contraire ce qui revient au même, leur intime d’être, ainsi le bonheur d’un accord n’existerait pas si la rencontre de ces trois notes ne constituait pas, au lieu d’une évidence, son opposé : un événement.
Ce qui ne doit pas être entendu cependant comme un manifeste de la bizarrerie nécessaire ou d’une religion de l’inattendu, puisque par exemple, Olivier Messiaen, compositeur né peu après le vingtième siècle, mort peu avant, et considéré comme hardi, considérait pour sa part que tout ce que la musique avait inventé pour s’extraire de ses règles d’or et prisons dorées n’avait, pour l’instant, rien inventé qui surpassât l’accord parfait majeur, à côté duquel, en poésie, l’alexandrin fait figure d’outsider.
L’harmonie, quand elle équivaut au bonheur au lieu d’équivaloir au remplissage, fait que du choc entre notes naisse une sonorité qu’aucune d’elles trois, quatre, cinq ou cinquante-cinq, solitairement, ne contenait : l’harmonie est aux notes ce que la rencontre est aux personnes.
Des notes jouées ensemble dessinent des écarts, des dissonances, des résonances et des couleurs : des harmonies.



Hokusai, Orchidées oranges, 1833-1834
Estampe nishiki-e, 25 x 37 cm


Composer une musique en la fondant originellement sur l’harmonie tonale, c’est-à-dire sur le monde harmonique tel qu’architecturé par le système des tonalités (*), consiste donc à prendre, si l’on veut, comme phonèmes, des harmonies : ce n’est pas par des notes que la mélodie est chantée, c’est, toujours déjà, par des harmonies.
Concrètement, la musique et sa partition se fondent d’abord sur des accords, et c’est l’enchaînement des accords qui crée la mélodie que nous entendons.
(*) Voir plus bas, l’article « Deux films courts de Straub & Huillet, La musique »



Cristaux de neige, photographiés par Wilson Bentley vers 1902



Le contrepoint, à l'inverse, prend pour origine ou matière première la mélodie, superpose des mélodies, donc superpose des notes, créant ainsi, comme dans le sillage des mélodies, sur leur passage, des harmonies.

D’où cette impression particulière, propre aux grandes œuvres contrapuntiques, que tandis qu’une partie de nous reçoit immédiatement, comme des feux d’artifices mêlés, l’enchevêtrement des mélodies – magie sans égal, magie véritable du contrepoint –, au même instant une autre oreille, plus profonde et peut-être moins consciente, semble simultanément recevoir la surprise permanente des harmonies ainsi semées : tandis que l’une, les yeux tournés là-haut sur la vivante explosion colorée mélodique, voit les lumières clignoter et se répondre et s’emmêler et se démêler, se glisser dessus et s’en aller, revenir et se retourner, se contourner, s’embrasser pour se débrasser, se trouver et se quitter et se retrouver ailleurs à un autre endroit de la minute, au même instant, comme en sourdine, sous la peau du feu d’artifice, l’autre laisse errer son regard à hauteur d’horizon et des montagnes lointaines, apercevant et recevant, comme une autre danse, distincte à la fois et en même temps consubstantielle de la première, la simultanéité des lignes verticales le long desquelles montent les fusées, et qu’elles laissent derrière elles comme des traînées de couleur : lignes qui, invisibles si l’on ne prête attention qu’à la merveilleuse surface mélodique, s’avèrent, dès que l’œil s’habitue à les discerner, un peuple de fils de soie multicolores que tissent les uns aux autres, comme sans le faire exprès, les couleurs mouvementées dans le firmament peuplé.



Tilo Baumgärtel, Sans titre, 2010
Dessin, 30 x 42 cm


Bach a reçu de l’Histoire une sorte de baiser pour avoir, pour autant que l’humanité ait pu en juger, porté à son point de perfection, et à une inventivité et une beauté inouïes, l’alliance de l’harmonie tonale et du contrepoint : au lieu que du primat de la mélodie découle une moindre richesse harmonique, au lieu que le souci premier de l’harmonie laisse les mélodies en retrait, comme les gnous plus faibles, lors des migrations de leur peuple innombrable, au moment de passer le fleuve, restent en arrière, en proie aux crocodiles et à l’oubli des siècles, Bach a apporté à la musique ce rêve qu’elle formait sans le savoir, et qui sans lui serait resté peut-être un désir, c’est-à-dire une absence : il eût été normal que n’existe pas, il était très probable que reste pour jamais inatteignable, ce qu’il a, surgissant improbable comme surgissent le miracle, le Christ ou le dauphin, atteint en l’inventant, révélé en le touchant, rendu possible en le faisant naître.



Léonard de Vinci, Saint Jean Baptiste, entre 1513 et 1516
Huile sur bois, 69 x 57 cm, Musée du Louvre, Paris




Œuvres vocales

Passion selon Saint-Matthieu
Direction Gustav Leonhardt

La Passion selon Saint-Matthieu, œuvre pour voix solistes, deux chœurs, deux orchestres, jouée pour la première fois en 1729, est l’une des paroles les plus belles que la musique ait prononcées depuis que l’oreille humaine s’est rendu compte de quelque chose comme la possibilité de la musique, et quelles que soient les formes que cette possibilité ait trouvées pour être, et se jeter dans le réel comme le corps nu dans la rivière.
Si la race humaine a un sens, c’est pour quelques moments d’amour et pour des œuvres comme celle-ci. S’il n’y avait la Passion selon Saint-Matthieu, le sacrifice des pandas n’aurait aucun sens. On peut donc militer pour l’invention d’un moyen pour réconcilier présence des pandas et présence de Bach, grâce à quoi l’âme de ce monde se rapprochera un peu d’elle-même.
Parmi les créations humaines, c’est-à-dire des objets produits par des êtres vivants mesurant généralement moins de deux mètres et vivant souvent moins que des arbres, qui sont déjà bien périssables, il en est quelques-unes qui peuvent servir à se demander s’il n’y aurait pas, dans ces corps fragiles et opaques que nous promenons dans le monde comme des paquets vibrants que la volupté éveille et qu’une bonne gifle évanouit, quelque chose comme une âme, une lumière qui ne saurait provenir des chimies explicables par lesquelles nous marchons, mangeons, mourons : quelque chose, tout athéisme bu, comme une étincelle divine.




Qu’un être à la composition physique comparable à la mienne, à la tienne, ait extrait de ses humeurs un si imprévisible miracle, questionne inévitablement la nature, la matière et les frontières de notre espèce.

Que d’une main elle ait pu écrire la Passion selon Saint Matthieu, et de l’autre dessiner les plans d’un camp de concentration, ou simplement d’un coup de couteau ouvrir le ventre de son semblable, plante au cœur de notre génome une distance tant immense entre nous-même et nous-même, entre l’homme et l’homme, entre ce que nous faisons et ce que nous faisons, entre ce que nous sommes et ce que nous sommes, que cette distance, au lieu de ce qui empêche de penser une définition humaine par la différence abyssale qu’elle creuse au sein de cela même qu’il s’agit de penser, se renverse immanquablement en la chose même, et de question devient la réponse : loin d’éloigner l’espoir de comprendre ce que nous sommes, parce que nous ne sommes pas mêmes – ainsi le panda, par exemple, facilite infiniment la tâche et l’étude de son zoologue, en lui faisant cette fleur, d’être le même que l’autre panda, et surtout, que lui-même –, cette distance, cette différence avec nous-même que nous accueillons comme un hôte au plus obscur de notre corps, nous apparaît un jour, et c’est ce qui en fait tout le piquant, le nom propre de notre espèce, notre véritable nom commun.



Panda jouant de la flûte, lors d’une représentation en plein air de la Passion selon Saint-Matthieu par les habitants de Pandaville



Au passage et en supplément, si l’on supposait que date de naissance et modernité dépendaient l’une de l’autre, on sera ravi de constater, outre le célèbre et néanmoins magnifique « Erbarme dich », sorte de valse tzigane qui aurait pris le visage d’agneau céleste, et dont Tarkorvski notamment s’était servi en générique du Sacrifice, que l’air « Ach Golgatha », aux approches de la fin, appuie une sublime aria baroque, en soprano, sur une instrumentation dans le plus pur goût d’un jazz de big band.
« Et tu te surprendras à claquer dans tes doigts, comme il est dit. »
Instrumentation qui rappelle à vrai dire moins les big band réels, rapides et joyeux et pleins d’ornements, que les enregistrements, ralentis et pleins d’étrangeté, qu’en a donnés, par exemple sur Stairway to the stars, The Caretaker, qu’on connaît aussi sous le nom de V/Vm, ou désormais de Leyland Kirby, musicien anglais rattaché à la musique électronique et qui fait partie du meilleur des quinze dernières années, et des prochaines.



2001 : A Space odyssey, de Stanley Kubrick, 1968


En réalité ceci ne démontre en rien, à proprement parler, la modernité de Bach, seulement des proximités harmoniques et rythmiques qui nous étonnent, parce qu’elles semblent faire des allers-retours entre les siècles. Mais comme, par ailleurs, effectivement, la notion de modernité – excessivement fuyante pour peu qu’on cherche à la cerner – et le hasard des dates, sont deux choses parfaitement indépendantes, ce paragraphe restera là comme la grosse dame dans sa chaise longue, le nez au milieu du visage, le péché dans l’existence, le pied dans la ballerine, le ruban au cou d’Olympia et la misère sur nos cités.
Car combien nos jours seraient meilleurs, si l’on cessait de confondre la modernité, autrement dit ce qui opère un bond par rapport au passé comme la grenouille saute du caillou, avec l’actualité, autrement dit ce qui existe dans un temps plus récent que la veille et plus vieux déjà que le lendemain.
Parce qu’opérer un bon par rapport au passé, ce n’est pas naître mercredi plutôt que lundi, ce dont tout le monde se contrefiche, mais apporter à ce qui fait le monde quelque chose que le monde, jusque là, ignorait, ne contenait pas, n’avait pas vu.
Sinon bien sûr, pourquoi Rimbaud aurait-il prononcé cette phrase, que tout le vingtième siècle et le suivant se seront absurdement trimbalée comme si leur paradis en dépendait, il faut être résolument moderne ?
Si la modernité était de nature chronologique, si était moderne ce qui tient de l’instant présent, il ne servirait à rien de falloir, ou de vouloir, ou de souhaiter ou de ne pas souhaiter, être moderne, puisque, littéralement, on n’aurait tout simplement pas le choix : chaque jour, chaque jour, chaque jour, nous serions tous inéluctablement modernes.




Et à vrai dire, si la modernité consiste à apporter au monde ceci qu’il ne sait pas déjà, peut-être ne faut-il pas dire qu’elle opère un bond par rapport au passé, mais bien par rapport au présent, entendu comme « là où l’Histoire nous a portés » : l’état actuel des choses, le visage présent des hommes, ce qu’ils savent maintenant, est l’autre nom de leur ignorance, de cette nuit où l’Histoire les coince, les coince encore, et que le moderne dépasse.
Modernité : ce qui pose une lumière là où nos yeux ne pouvaient pas voir, là où le déroulement de notre histoire ne nous avait pas appris à voir, à entendre, à sentir, quand la somme de ce que nous sommes, de ce que nous fûmes, de tout ce qu’ils furent – ceux-là qui furent nos pères –, n’avait pas éclairé encore cet endroit-là des choses, ne l’avait pas encore inventé.

Est moderne, doit-on peut-être dire, ce qui sort des rails de l’Histoire, ce qui fait dérailler l’Histoire : est moderne, cela qui sort du temps.


CD 1, ici :




CD 2, ici :




CD 3, ici :



Polaroids d'Andrei Tarkovski




Oratorio de Noël
Direction Sir John Eliot Gardiner

Fantastique ? Oui.
Joie de la vie, joie de la foi, joie de la musique : voici que leur essence est une, et ce que nous entendons, leur existence.


CD 1, ici :



Giotto di Bondone (Giotto), Ascension, détail, 1304-1306
Fresque, Padoue, Chapelle Scrovegni ou Chapelle de l’Arena


CD 2, ici :



Giotto di Bondone (Giotto), Scènes de la vie de Joachim : rencontre à la Porte d’Or, détail, 1304-1306
Fresque, Padoue, Chapelle Scrovegni ou Chapelle de l’Arena




Trauerode
Direction Philip Herreweghe, La Chapelle royale

Une cantate importante, dont le titre signifie Ode de tristesse, Ode de deuil ou Ode de peine.


Ici :



Kai Althoff, Sans titre, 2001
Vernis pour bateau, aquarelle, stylo et crayon sur panneau, 50 x 40 cm




Cantates pour le premier dimanche de l’Avent, Cantates pour le 4e dimanche de l’Avent
(Cantates BWV 61, 62, 36, 70, 132, 147)
Direction Sir John Eliot Gardiner

De bien belles cantates.


Ici :



Luc Tuymans, Still Life, 2002
Huile sur toile, 347 x 500 cm


Et là :



Marcel Dzama, I'd rather be a forest than a street, 2003
Acrylique et papier collé sur toile, 40,6 x 50,8 x 1,3 cm




Cantates profanes
BWV 207 & 214
Direction Philip Herreweghe, Collegium Vocale Gent

Des cantates bien belles.


Ici :



Henry Darger, Sans titre, milieu du XXe siècle
Aquarelle, crayon, carbone et collage sur papier découpé, recto verso, 58 x 93 cm




Cantate Ich habe genug, pour voix de basse solo, hautbois et cordes
Hans Hotter, basse

Ne fût-ce que pour le premier air, « Ich habe genug » - « Cela m’est assez » -, qui donnerait la foi à une chèvre.

Quant au dernier, « Ich freue mich auf meinem Tod », « Je me réjouis de ma mort », il est si beau que les chèvres, mal informées de la chrétienté, sautent du haut de la montagne dans de grands cris d'extase.


Ici :



Thomas Gainsborough, Wooded Upland Landscape, probablement 1783
Huile sur toile, 120.3 x 147.6 cm



Magnificat

Où est le Magnificat ? Ah, pas de Magnificat aujourd’hui, revenez lundi. Mais nous avons la Messe en si.
- La fameuse Messe en si ?
- Oui oui.
- Les chœurs les plus fous du monde goy ?
- Oy.



Messe en si
Direction Sir John Eliot Gardiner


CD 1, ici :



Wilhelm Sasnal, Forest, 2003
Huile sur toile, 45 x 45 cm


CD 2, ici :



Wilhelm Sasnal, Untitled (Kacper and Anka), 2009




Œuvres pour piano


L’art de la fugue
Les Variations Goldberg (Enregistrement 1981)
Partitas, Préludes, Fugues et Fughettas
Glenn Gould, piano



L’Art de la fugue

Une fugue est une forme spécifique et complexe de contrepoint basée sur le procédé de l’imitation – une voix reprend un fragment mélodique préalablement exécuté par une autre voix –, ainsi nommée parce que le thème de la mélodie a l’air de fuir d’une voix à l’autre : ce qui est particulièrement charmant, et devient vite vertigineux.
Il faut préciser que par « voix », on n’entend pas nécessairement la partie spécifique de tel ou tel instrument, mais l’une des lignes mélodiques en jeu.
Dire que l’on est bien surpris que L’Art de la fugue soit traditionnellement tenu pour un sommet du contrepoint et l’un des plus clairs jours de la musique créée de main d’homme, serait une aimable taquinerie.
Peut-être parce que la perfection doit toujours rester quelques pas devant nous, L’Art de la fugue est inachevé.


C’est ici :



Carl André, vue d’installation




Les Variations Goldberg


…Sont traditionnellement considérées – c’est étonnant – comme un chef-d’œuvre de la forme « thème avec variations » et de l’écriture contrapuntique, et l’une des plus importantes et des plus exceptionnelles pièces pour clavier que de l’encre ait posées sur papier.

Tout commence par une aria, c’est-à-dire un air, autrement dit le thème.
Suivent 30 variations - chacune sur l’une des trente mesures de l’aria -, divisées en deux parties de quinze variations, et chaque quinzaine en cinq fois trois mouvements, le troisième étant toujours un canon et chaque canon constituant une gradation par rapport au précédent : canon à l’unisson, à la seconde, à la tierce etc.
Ceci fait, l’aria revient, puis tout s’éteint.

Des mathématiques ?
La grâce absolue, la pureté, le bord du vide : scintillement extraordinaire qui a quelque chose de terrifiant.


C'est ici :



Dan Flavin, Untitled (To Helga and Carlo, with respect and affection), 1974
Lumières bleues fluorescentes, unités modulaires, dimensions variables
Vue d’installation, David Zwirner Gallery, New York, 2010




Partitas, Préludes, Fugues et Fughettas

À ma question : Alors, pour ou contre Glenn Gould ?, François-Michel Pasquet avait répondu : « Ça dépend ».
À quoi il avait ajouté : « Je suis pour, pour les Partitas par exemple. »


Le CD 1, ici :



Fabrice Lucchini dans Perceval le Gallois d'Éric Rohmer, 1978
D’après Perceval ou le Conte du Graal, de Chrétien de Troyes, vers 1181

Le sang et la neige ensemble
Les fraîches couleurs lui semblent
De Blanchefleur son amie




Le CD 2, ici :



Perceval le Gallois d'Éric Rohmer, 1978

Il était trois gouttes de sang
Qui scintillaient là sur le blanc





L’approche de Glenn Gould semble en quête, et peut-être en atteinte, d’une pureté radicale, comme s’il ne glissait aucune interprétation – personnelle : personnelle ; qui ? lui, Glenn ! – entre la partition et l’instrument : porte-parole, transcripteur seulement de l’écrit en sonore.
Bien sûr c’est faux : cela n’existe pas ; mais tout de même.
Il suffit d’écouter, après celui de Sviatoslav Richter, quelques secondes de son enregistrement du Clavier bien tempéré, et voilà : adieu les flous et les romances dont le premier colore le texte, en y surajoutant sa propre chair, le goût de ses rêveries et la saveur de sa mémoire : avec Gould, nous sommes en rencontre de notes nues, d’escaliers de cristal, de palais de gouttes de pluie.
D’aucuns trouvent cette absence d’aspérités un obstacle pour s’accrocher à ces lisses parois ; d’autres y croient ressentir la quintessence de l’œuvre sans le désir parasitaire de l’interprète.

À Marie visitée prononçant la parole par laquelle elle accepte et accomplit l’incarnation en elle du Fils : « je suis la servante du Seigneur », Glenn Gould, d’un ascétisme forcené qui masque ou équilibre les libertés réelles qu’il prend pourtant, semble répondre : « moi aussi ».




Œuvre pour violon seul


Sonates et Partitas pour violon seul

Nathan Milstein, violon

Avec un instrument grand comme un chat et quatre cordes presque insolentes à force d’humilité, des mondes s’éveillent.


Ici :



Martin Eder, Ohne Titel, 2005
Aquarelle et graphite sur papier, 28,5 x 22,5 cm




Œuvre pour violoncelle seul


Suites pour violoncelle
Pablo Casals, violoncelle

Les célèbrissimes suites, dans la classiquissime version de Pablo Casalsissime.


Allegro icissimo :



Caspar David Friedrich, Le voyageur au-dessus de la mer de brume, 1818
Huile sur toile, 98 x 74 cm




Œuvres instrumentales

L’Art de la fugue
Direction Jordi Savall, Hesperion XX

Puisqu’on ne sait pas au juste pour quel instrument fut composé L’Art de la fugue, ce que Glenn Gould joue au piano – occasionnellement à l’orgue, ce qui lui vaut moult critiques –, ou Gustav Leonhardt sur un clavecin, Jordi Savall le fait exécuter par un ensemble de violes de gambe, lui-même à la viole soprano, et parfois d’instruments à vent lorsque la partition le requiert.
Les extrêmes rigueur et clarté de Gould cèdent la place ici à beaucoup de souplesse et de rondeur, qui peut-être substituent par endroits, à la spécificité contrapuntique et à la spécificité de la fugue – c’est-à-dire une grande lisibilité des lignes mélodiques –, une présence plus immédiatement audible et plus ample, à l’inverse, des colorations harmoniques.
Souvent cependant, la poly-instrumentalité, et les nuances entre textures, rendent éclatant le dialogue entre les différentes voix. Et là où le piano, mené par le jeu de Gould, se tient en permanence sur un fil follement ténu qui est celui de tels sons à tel moment, bordés d’un silence sans limite qui est comme leur clairière, le jeu des violes, au contraire, gonfle l’air d’un jeu superbe de résonances.
En un mot, les deux versions sont deux très beaux et très divers moments de musique.


CD 1, ici :



Giorgio Barbarelli ou Zorzi da Vedelago ou da Castelfranco, dit Giorgione, La Tempête, 1507 – 1508
Huile sur toile, 82 x 73 cm, Gallerie dell’Accademia, Venise


CD 2, ici :



Giorgio Barbarelli ou Zorzi da Vedelago ou da Castelfranco, dit Giorgione, Le Concert champêtre, v. 1510 – 1511
Huile sur toile, 110 x 138 cm, Musée du Louvre, Paris




Les Concertos Brandebourgeois
Direction Jordi Savall

Mi-brandes, mi-bourgeois.


Mi-là :



Jean-Antoine Watteau, Pèlerinage à l’île de Cythère, dit « L’embarquement pour Cythère », 1717
Huile sur toile, 129 x 194 cm, Musée du Louvre, Paris


Mi-là :



Jean-Antoine Watteau, Les deux cousines, 1717 – 1718
Huile sur toile, Musée du Louvre, Paris




L’Offrande musicale au Roi Frédéric II de Prusse

Ensemble Sonnerie

Peut-être, si nous l’offrions aux rois d’aujourd’hui, aurions-nous sur la terre une heure et dix minutes de paix.



Jean-Honoré Fragonard, La Liseuse, 1770-1772
Huile sur toile, 82 x 65 cm, National Gallery of Art, Washington DC


Par ailleurs, il peut être une idée fertile d’écouter cette « offrande » au casque. Avec enceintes, certaines phrases s’en vont dans le mur, certaines vont dans les livres, les étagères, certaines s’envolent, certaines où étaient-elles ? On a déjà passé.
Au casque, on est le lieu de réception de tout, comme de sensations envoyées à nous toutes ensemble. Et ce qui est vrai de n’importe quelle musique, devient particulièrement évident pour des compositions d’une telle richesse. Richesse, qu’est-ce que cela signifie ?
Bien sûr, il y a la richesse mélodique, il y a la richesse harmonique : c’est une évidence, elles sont hors du rationnel.
Mais aussi, il y a ce qu’on pourrait appeler les événements.

Dans une musique normale, il y a de nombreux moments où l’on sait, au présent, ce qui, l’instant suivant, adviendra : parce que cela sonne comme, parce que c’est comme… toutes ces choses qu’au cours de notre vie nous avons déjà entendues, et qui ont modelé notre oreille, ce qu’elle reconnaît et ce qu’elle prévoit.
Si Bach résiste aux siècles comme la girouette aux vents, ce n’est pas parce que des hommes vieux, pleins de vieille barbe blanche et de désintérêt pour les vraies choses de la vraie vie, ont décidé de s’élire un pape, sur le critère de sa propre barbe, à honorer régulièrement lors de galas bien habillés.
Ces galas existent parfois, ces vieux hommes existent parfois, et certains d’entre eux cachent sans doute sous leur barbe une haine de la vie qui les rend malheureux. (Hélas, de bien plus jeunes aussi font de même, à qui il reste bien plus longtemps.)
Mais ce n’est pas d’eux que Bach est fait.



Corbier


Si Bach résiste au temps et à la mort de ceux qui l’ont aimé ou admiré au fil des décennies et des bibliothèques brûlées et des déchirures du passé par les révolutionnaires du romantisme, par les révolutionnaires de la musique dodécaphonique, par les révolutionnaires de la musique concrète, par les révolutionnaires du jazz, par les révolutionnaires du rock n’ roll, par les révolutionnaires de la musique électronique, par les révolutionnaires de la musique bruitiste, par les révolutionnaires de la techno, par les révolutionnaires du rap, par les révolutionnaires d’une infinité de musiques hybrides et par les révolutionnaires de musiques solitaires qu’ils faisaient naître et puis mourir et qu’aucun mouvement autour ou ensuite ne permettrait de mettre sous une étiquette autre que le nom propre du révolutionnaire, équivalent à la révolution elle-même, si Bach, quoique tout cela ait existé - et existe -, n’a pas été « dépassé » mais simplement « accompagné », c’est que tout ce que nos oreilles ont appris à entendre pendant que l’Histoire avançait ne les a toujours pas immunisées contre l’inémoussable surprise qui seconde après seconde, dans certaines heures qu’il a laissées, ne cesse pas de se dresser devant nous comme le buisson ardent ne cessera pas d’ardre et de brûler.



Sonic Youth, 1988


Ainsi, le casque fait en sorte que les événements innombrables qui composent chaque instant, lorsqu’ils adviennent, soient ouïs.


C’est ici :



Suggestion de présentation





Épilogue : Note sur la perfection

Une crainte m’envahissait en écrivant cet article. Écoutant la Passion selon Matthieu par exemple, je me disais : mais l’entendront-ils ? Je ne parle pas bien sûr des auditrices et teurs habitués déjà à la musique classique, baroque, à Bach, à la passion sous toutes ses formes etc. Je parle des moins habitués, qui lisant que voici un chef-d’œuvre pour l’éternité, en feraient l’essai, peut-être excités, peut-être un peu méfiants, peut-être un peu inquiets, et là, crainte : qu’entend-on ?
Il semble que certains moment de Bach posent ce problème, si l’on peut dire, qui est celui de leur propre perfection. La perfection peut avoir ceci de presque décevant, qu’elle ne fait pas toujours violence.
Or pour des oreilles habituées à fonctionner selon des critères d’appréciation qui sont ceux de la secousse, ou de l’efficacité, si certains passages offrent la dose d’adrénaline sonore suffisante à n’importe qui pour entendre qu’il rencontre une œuvre sans voisines, sans pairs, qui apporte à un être humain quelque chose à quoi une part de son bonheur futur sera désormais attaché, il n’est pas exclu, à l’inverse, que l’on puisse écouter d’autres plages en se demandant par quel bout il faut écouter, pour s’en tant enthousiasmer.

Parfois l'on y revient.

Et parfois l’on prononce ce verdict triste : « c’est sans doute très bien, mais moi, je ne l’entends pas ».
(Variante : « je m'en fiche ».)




Ah, ce fameux « mais moi ». Triste aveu de l’ignorance où l’on se trouve de sa propre puissance, de sa propre capacité à devenir, de sa propre liberté, croyance que certains sont nés pour entendre et d’autres pour ne pas entendre, certains pour voir, d’autres pour passer, certains pour être riches et d’autres pour être pauvres, certains pour prendre leur temps, d'autres pour travailler, certains pour être heureux et d’autres pour souffrir, certains pour être heureux et d’autres pour être sérieux, certains pour prendre le luxe de chercher leur bonheur, d’autres pour prendre le train dans lequel ils ont le pied.




Baudelaire disait que le beau est toujours bizarre, et n’avait peut-être pas raison. Le beau naît parfois dans cette bizarrerie, mais parfois sa perfection même le pousse aux frontières de l’inexistant, au seuil de la disparition, de ce que l’on ne remarque pas : car la beauté a tant tordu les éléments qui la composent pour que tout résonne en harmonie et osmose, que si l’on peut ainsi parler, plus rien ne « dépasse », n’attire l’attention comme un coup de cymbales : or nous sommes habitués à entendre d’abord, à voir, à noter ce qui se manifeste fortement : couleurs vives, montages rapides, rythmes marqués.
La beauté, si elle naît dans la différence avec le bruit du monde, peut se lever dans un cri plus fort, ou dans un murmure plus discret.



Sandro Botticelli, La Naissance de Vénus, environ 1485
Tempera sur toile, 172,5 x 278,5 cm, Galerie des Offices, Florence


Il y a chez Bach beaucoup de fulgurances qu’on entendra toujours, probablement, quoi que nos oreilles aient vécu avant : parce que sans doute, sous certaines formes, la beauté garde cette puissance indépendante des lieux et des années qui lui offre le don, à nous, de se révéler.

Mais il arrive aussi que l’étrangeté, la différence, l’unique, l’improbable surgissement de la beauté, de son mystère et de son miracle, se révèle progressivement, tardivement parfois, sous une apparente évidence : ainsi pour ma part, les Variations Goldberg, mal entendues, jamais vraiment, m’ont longtemps semblées un peu fades, en comparaison de L’Art de la fugue par exemple, avant que j’y entende quelque chose que je ne peux que mal retranscrire ici avec des mots, et peut-être cela n’a-t-il pas de nom, et qui signalait, parmi cette beauté infinie qui me tombait soudain dessus comme l’averse sur le voyageur sorti acheter des cigarettes, une humanité si lointaine, et si proche à la fois, une architecture si tout autre de l’univers entier, je comprenais qu’à l’aune de rien elle ne pouvait être « normale », ou « banale » - terme auquel Baudelaire oppose son « bizarre » -, ce qu’elle m’avait d’abord, toutes proportions gardées et tout relativement au reste, un peu semblée.

Mais comme le dit Pascal, dans le merveilleux film d’Eugène Green qui s’appelle Le Pont des Arts : « Rien n’est normal ».



Henry Travers et James Stewart dans La Vie est belle de Frank Capra, 1946


Alors simplement, pour les personnes qui auraient la chance de n’avoir pas encore rencontré les pièces présentées ici, ces derniers mots, à prendre comme une invitation.

Comment entendre ?

On ne sait pas.
Mais l’on ferait fausse route en pensant qu’il faut se concentrer, froncer les sourcils, avoir peur. D’ailleurs de manière générale, il ne faut jamais avoir peur.

La musique ne naît pas dans l’opposition au bruit, elle sort du silence comme Vénus de l’eau.
Ce qu’on peut offrir à ses oreilles, pour entendre la musique, c’est ce silence : celui des bruits, celui des pensées, celui des gestes.
(Ce n’est pas toujours vrai, parfois les musiques s’épanouissent beaucoup dans leur rencontre avec les bruits, avec tout le bruit.)
Ce n’est pas un silence de concentration, de respect, de tension, ce n’est pas le silence qu’on doit aux morts, aux secrets, aux choses sacrées : c’est ouverture, c’est abandon, c’est surtout : disponibilité.

La musique, elle n’a pas besoin de nous : elle jouera.
Qu’on l’entende ou non, ce n’est pas son problème à vrai dire : elle suit son cours, elle avance, elle passe, elle vit, elle a son existence propre.
Ensuite c’est à nous de voir, on lui ouvre la porte ou on ne la lui ouvre pas.
Et tout ce qu’on fait, ce qu’on pense, tout ce qu’on dirige de soi vers quelque but que ce soit, tend notre être, comme un muscle, et referme comme mille petites barrières qui nous protègent d’entendre le monde, le dehors, l’autre – celui qui de nous diffère, qui nous est étranger, qui de nous se distingue – ou la musique, cette autre qui vit et passe dans la même pièce que nous.



Natacha Régnier dans Le Pont des Arts d’Eugène Green, 2004


Si nous voulons entendre, quelqu’un ou la musique, il ne sert à rien de « chercher à » l’entendre, il ne sert à rien de se tendre vers l’entendre.

Il suffit de l’entendre.

Dans le même temps, on ne fait pas ses courses, on ne parle pas de ses chiens, on ne se clôt pas, ne se tend pas, on n’interrompt pas le temps : que ce soit Bach, un ami ou le bruit dans les arbres, il suffit d’être là, dans un relâchement et une disponibilité au lieu d’une tension et d’une quête, au lieu d’une torsion et d’une crainte, et se taisant un peu soi-même, pour que nos tympans soient ouverts, caressés et calmés par le silence des choses comme des animaux énervés qu’une main amie apaise, apaisés pour qu’ils ne parlent pas eux-mêmes, bruyants tympans, tympans bavards, une langue parasitaire qui nous fermerait le chemin d’entendre, il suffit, là, dans l’humilité d’une entente, de laisser dire cela qui parle.