jeudi 24 février 2011

Le bruit des ballerines


Par un début de nuit sans sommeil, car c'était une journée de repos, tardive, brève, sans tâche - enfin -, on se trouve comme par hasard, sur le chemin de notre promenade à travers les objets de la nuit, à lire comme un poème la liste des œuvres traduites de Martin Heidegger :



Aux Éditions Gallimard

TRAITÉ DES CATÉGORIES ET DE LA SIGNIFICATION CHEZ DUNS SCOTT
ÊTRE ET TEMPS
LES PROBLÈMES FONDAMENTAUX DE LA PHÉNOMÉNOLOGIE
INTERPRÉTATION PHÉNOMÉNOLOGIQUE DE LA "CRITIQUE DE LA RAISON PURE" DE KANT
DE L'ESSENCE DE LA LIBERTÉ HUMAINE. Introduction à la philosophie
KANT ET LE PROBLÈME DE LA MÉTAPHYSIQUE
LA "PHÉNOMÉNOLOGIE DE L'ESPRIT" DE HEGEL
QU'EST-CE QU'UNE CHOSE ?
SCHELLING. Le Traité de 1809 sur l'essence de la liberté humaine
NIETZSCHE, I ET II
CONCEPTS FONDAMENTAUX
CHEMINS QUI NE MÈNENT NULLE PART
APPROCHE DE HÖLDERLIN
QUESTIONS, I ET II
QUESTIONS, III ET IV
ESSAIS ET CONFÉRENCES
QU'EST-CE QUE LA PHILOSOPHIE ?
LE PRINCIPE DE RAISON
ACHEMINEMENT VERS LA PAROLE
HÉRACLITE. Séminaire du semestre d'hiver 1966-1967 (en collaboration avec Eugen Fink)
LES HYMNES DE HÖLDERLIN : "LA GERMANIE" ET "LE RHIN"
ARISTOTE, MÉTAPHYSIQUE 1-3 De l'essence et de la réalité de la force


Aux Éditions Montaigne

LETTRE SUR L'HUMANISME (édition bilingue)


Aux Presses Universitaires de France

QU'APPELLE-T-ON PENSER ?







Réapparaissent comme un sourire dans la mémoire, parce que les pensées rebondissent sur les instants comme les petits torrents d'une rivière sur les cailloux de son lit, les mots de Fernando Pessoa par lesquels les éditions Christian Bourgois avaient choisi de clore leur première édition, d'abord en un volume, du Livre de l'intranquillité :


Et je caresserai doucement, comme je ferais à un chat, toutes les choses que j'aurais pu dire.







*





Bon, voilà.














On caresse les choses qu'on aurait pu lire, les choses qu'on aurait pu entendre, les choses qu'on aurait pu ouvrir ; on éprouve le possible, l'inachevé du moment, les espaces inconnus frôlent les frontières de ceux qu'on sait, et comme un bord de mer, tout désigne au delà et ailleurs, et nous poursuivons sur la plage.

Promeneurs, nous sentons le souffle du large, le sel de là-bas, depuis le clapotement dans lequel marchent nos pas, et un jour nous restons, et un jour nous allons ; et selon les jours, et selon les heures, quand nous n'allons pas visiter ces heures différentes que la vie nous tend, quand dans l'ici qui nous sépare du reste du monde nous demeurons, quand nous ne répondons pas à ces voies que nous voyons ouvertes, que nous sentons belles - comme tout l'est et comme tout le sera : où qu'on aille -, alors selon les jours et selon les moments, selon l'humeur contente ou l'humeur regrettante, nous sentirons un jour la mélancolie fade, l'épuisement des musiques, la certitude du temps qui passe ; un autre jour, la joie de pressentir, de savoir que c'est, que cela continue, que des mondes invisibles se meuvent et que nos yeux nos mains et nos pieds, nos routes, s'ils y vont, les rencontreront, qu'un mouvement s'annonce : qu'on y plonge ou non,
de cette annonciation même nous jouissons, de cette sensation : le possible.






Le possible : dans son existence nous vivons, dans son voisinage, dans le bruissement constant de sa robe, le bruit doux sans fin de ses ballerines ; habillés de lui comme d'un habit, irrigués de lui comme d'un sang, nous sommes faits de possible dans un monde possible.

Ensuite bien sûr, chaque jour - chaque jour mais pas éternellement, chaque jour mais pour un temps donné -, chaque heure, chaque fois, cette adoration, cette inéluctable, notre liberté : choisir.





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