vendredi 8 janvier 2010

2 films courts de Straub & Huillet, La musique


Danièle Huillet et Jean-Marie Straub étaient un couple de cinéastes français, qui ont co-réalisé leurs films depuis 1963 jusqu'au décès de Danièle Huillet, alors âgée de 70 ans, en octobre 2006. Depuis, Jean-Marie Straub poursuit leur travail seul.
D'une intégrité et d'une exigence considérées comme exemplaires, leur cinéma leur a valu, quelques semaines avant la disparition de Danièle Huillet, un prix spécial pour l'ensemble de leur œuvre, pour "l'innovation dans le langage artistique", décerné par le jury de la 63e Mostra de Venise.

Dès 1965, le titre de leur second film affirmait d'emblée qu'il ne saurait, pour eux, se concevoir de cinéma qui ne fût politique :


Non réconciliés ou Seule la violence aide, où la violence règne (Nicht versöhnt oder Es hilft nur Gewalt wo Gewalt herrscht).


Il faut préciser que Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, qui ne travaillaient qu'en prise de son direct, choisissaient souvent des acteurs non-professionnels, auxquels ils demandaient parfois des dictions très particulières, qui sont d'une évidente justesse dès lors que l'on se défait de l'idée que le cinéma doit montrer une ressemblance directe avec ce que nous voyons et entendons dans nos discussions quotidiennes, mais plongent inévitablement dans une première perplexité.
Quoique ce ne soit pas le cas des deux films présentés ici, la façon également dont ils filment, dont ils montent - beaucoup de plans séquence et de plans fixes -, fait preuve d'une sorte de brutalité, d'une absence de désir de consommabilité immédiate, qui peut, par son apparente aridité, brusquer les regards premiers.

Dans ce contexte d'un langage cinématographique dont la pureté repousse aisément les attentes d'un spectateur non prévenu, le film court offre une entrée plus en douceur dans une œuvre qui, si elle n'avait d'excellentes raisons d'exister, n'aurait jamais vu le jour.


Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, dans le film de Pedro Costa, 6 Bagatelas, 2001

Danièle Huillet est en train de dire : Ils nous enferment dans un univers sinistre et on veut simplement leur dire, ben, autre chose a été, est, serait, sera, possible.



En rachâchant, 1982
7 minutes
D'après La pluie d'été, de Marguerite Duras

Le jeune Ernesto ne veut plus aller à l'école, parce que l'on n'y apprend que des choses que l'on ne sait pas.
À la toute fin de l'anthologie d'entretiens de Duras présentée plus bas, elle offre un éclairage sur ce livre et sur ce film, sur la piste "La pluie d'été".

Le film ici :


Japanese & english subs included



Einleitung zu Arnold Schoenbergs "Begleitmusik zu einer Lichtspielscene" / Introduction à la « Musique d’accompagnement pour une scène de film » d’Arnold Schoenberg, 1973
D’après Arnold Schönberg et Bertolt Brecht
15 min

Arnold Schönberg, né dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle et mort au milieu du vingtième, a révolutionné la musique occidentale savante, qu'on regrouperait sous le terme trop peu précis de "classique", pour initier celle que l'on appelle tout aussi problématiquement "contemporaine" : notamment en mettant au point la musique dodécaphonique, et, avec Anton Webern et Alban Berg, avec lesquels il avait fondé le mouvement musical qui porte le nom de Seconde École de Vienne, la musique sérielle.

La musique "classique", telle qu'elle évoluait depuis la Renaissance, avait construit un système de gammes (gamme de do, de ré, de fa…) et de modes : majeur, mineur. Cela signifie que les notes, les hamonies, qui vont exister dans un texte, qui vont s'agencer ensemble, viennent s'inscrire dans une sorte d'architecture préalable, qui est la gamme.
Une gamme s'appuie sur une note pilier, qu'on appelle la tonique, et dont la gamme porte le nom : dans la gamme de do, do est la tonique. "Do" est un nom de note, "tonique" est un nom de ce qu'on appelle un degré.

Dans la langue verbale, le sujet conjugue le verbe, quels que soient ensuite le sujet et le verbe, et les relations entre sujet et verbe existent, par la grammaire, préalablement à la composition de telle ou telle phrase.
De la même manière, dans la langue des gammes, il existe un système préalable de relations, qui veut que, par exemple, la tonique, entretiendra telles et telles relations, non pas avec les autres notes de la gamme, non pas avec le sol ou le si, mais avec les autres degrés : par exemple, des relations avec ce qu'on appelle "la dominante". Après quoi, si la tonique est un do, la dominante sera un sol, si la tonique est un mi, la dominante sera un si, etc.

Des siècles de musique ont construit, élaboré, développé et étendu, un ensemble fabuleux de relations architecturales qui sont les règles de la composition classique.

Le talent d'un compositeur consista souvent, du même geste, à reprendre, à poursuivre et à parfaire le langage de ces architectures, et à le transformer pour l'ouvrir à la possibilité de son propre désir.
L'extinction du dix-huitième siècle constitue à peu près, en termes de perfectionnement d'un langage, ce qui est différent de la perfection ou de la beauté des œuvres mêmes, l'apogée de ce système.


Partition de Jean-Sébastien Bach


À partir du romantisme, commence pour la musique l'ère des violences. Pervertir, transformer, étirer le système, prendre des licences, créer des failles, des glissements, des tensions, des creux et des cris dans la perfection cristalline et cristallisée de l'architecture des aînés, c'est-à-dire des règles de la composition : dix-neuvième siècle.


Partition de Ludwig van Beethoven


Et un beau jour sur ce chemin de métamorphoses, Arnold Schönberg, au cours de ses "recherches", c'est-à-dire des musiques qu'il écrivait, c'est-à-dire, des réponses concrètes - musicales - qu'il tentait d'apporter à la question : que peut être la musique ? que peut la musique ? qu'est la musique ?, Arnold Schönberg en vient à déchirer le système des gammes, non pas en deux, mais précisément en douze : douze, dodéca-, comme dodécaphonique ; douze comme 1 do, 2 do dièze, 3 ré, 4 ré dièze, 5 mi … 11 la dièze, 12 si : autrement dit, douze, c'est le nombre de notes que comprend un octave dans le système de la musique occidentale savante. (Dans d'autres systèmes musicaux, des quarts de tons par exemple, là où n'en avons que des demi, doublent ce chiffre.)

Arnold Schönberg décrète, ou découvre, ou comprend, ou invente, que l'on peut se passer des degrés ; que l'on peut se passer de composer une musique selon l'architecture par degrés qui la régit depuis des siècles, que l'on peut se passer de composer une musique selon les lignes et les rapports préalables que tracent tonique et dominante, et la ribambelle tintinnabulante de leurs cousines.

Adieu les sept degrés de la gamme, adieu le majeur et le mineur, adieu le sol sous nos pieds : nous avons 12 notes, et sommes libres.

Schönberg cependant, pressentant les possibilités de chaos que dessinent de telles perspectives, veut maintenir une organisation dans la nébuleuse inquiétante qu'il vient d'ouvrir, et forge, avec Webern et Berg, le procédé de la musique sérielle : une suite de notes constitue une série, une autre suite une autre série, et l'on manipulera, dans la composition du morceau, non plus des notes, mais des séries. Ainsi se maintient, pour l'oreille, une possibilité de reconnaître, dans l'espace sonore qui lui est livré, des places, des allées, des fontaines, des retours et des ouvertures.


Partition d'Alban Berg


Le film de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub ne porte pas sur l'apport musical du compositeur, mais, tout en s'ouvrant sur une pensée du fascisme comme suite logique du monde capitaliste, barbarie originelle, prend pour point d'appui une lettre que Schönberg écrivit à Kandinsky en 1923, depuis les États-Unis où il s'était exilé, en réponse à l'invitation que lui faisait le peintre son ami à venir le rejoindre en Allemagne, à Weimar, participer à l'entreprise du Bauhaus.
Schönberg y reproche à Kandinsky des positions qui continuent de se reconnaître en l'Allemagne, devenue le lieu d'une violence politique croissante et d'un antisémitisme de droit :
Pas même la géométrie,
lui écrit-il, Kandinsky ne peut l'avoir en commun avec eux !


Le film ici :


English subs included



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire