samedi 9 janvier 2010
Michel Foucault, Les hétérotopies / Le corps utopique, 1967
La première de ces deux très belles conférences de Foucault commence ainsi :
Il y a donc des pays sans lieu, et des histoires sans chronologie ; des cités, des planètes, des continents, des univers dont il serait bien impossible de relever la trace sur aucune carte ni dans aucun ciel, tout simplement parce qu'il n'appartiennent à aucun espace.
Sans doute ces cités, ces continents, ces planètes, sont-ils nés comme on dit dans la tête des hommes, ou à vrai dire, dans l'interstice de leurs mots, dans l'épaisseur de leurs récits, ou encore dans le lieu sans lieu de leurs rêves, dans le vide de leur cœur : bref, c'est la douceur des utopies.
La démarche épistémologique de Michel Foucault, pour la faire passer dans l'entonnoir de quelques mots, consistait, plutôt que de montrer de quelle manière la réalité correspondait à sa pensée, à observer la réalité pour en déduire une pensée.
Cette splendide évidence, si elle était appliquée de manière naturelle par l'humanité, réduirait sans doute considérablement le nombre et la gravité des conflits qui l'abîment.
Évidemment, la question suivante est de savoir ce qu'on entend par "réalité", sans quoi la vie serait comme un collier de perles.
Pour notre ami, fondamentalement historien, né dans dans les années folles et mort en 1984, l'objet d'étude sera entre autres choses une masse considérable de documents historiques, c'est-à-dire d'archives.
D'où il déduira des choses formidables, que le désir de faire autre chose de ma journée m'incitera à ne pas lister.
Par exemple, dans La volonté de savoir, premier tome de l'Histoire de la sexualité paru en 1976, il montre que si l'on regarde concrètement l'histoire des pratiques, des lois, des discours et des mille manières d'injonction et d'incitation qui constituent une société, et si l'on se penche sur la manière dont ces prescripteurs de vie ont évolué depuis l'Ancien Régime, eh bien il s'avère que la volonté, aujourd'hui illusoirement affirmée comme une rébellion contre une supposée incitation au silence et au tabou de la part de "la société", de dire moi je, de dire moi mon désir, moi mon sexe, moi ma vie privée la voici, moi le détail de mes heures charnelles, moi mon vit et moi mes envies, il se trouve, à rebours du sentiment premier et de la croyance immédiate des produits de la domination sociale, c'est-à-dire des êtres humains, que cette volonté de dire jetée à la face du pouvoir comme un défi à sa violence répressive, est au contraire l'exacte réponse à la volonté que celui-ci exprime explicitement de connaître et de contrôler ce qui se passe dans le pauvre cœur des hommes.
Dans ces deux conférences, d'une durée totale de 43 minutes, Foucault nous raconte une histoire de lieux.
"Figure de l'Île d'Utopie", dans l'édition de 1516 de l'Utopia de Thomas More
Dans Les hétérotopies, Foucault rappelle, d'une part, que nos existences s'inscrivent dans des lieux, et donc, dans un rapport à ces lieux : On ne vit pas dans un espace neutre et blanc, on ne vit pas, on ne meurt pas, on n'aime pas, dans le rectangle d'une feuille de papier.
D'autre part, il s'attache plus précisément à ces lieux qui ne sont pas des u-topies, puisqu'ils existent bien quelque part, mais qui, quoique faisant partie du monde réel, sont bien en quelque manière des lieux "autres", hors-monde, des contre-espaces : jardins, asiles, cimetières, maisons closes, prisons, mais également les villages du club méditerranéen, et bien d'autres.
Les enfants eux-mêmes, ayant reçu leurs rêves des rêves déjà faits des adultes, connaissent ces contre-espaces ; par exemple, le grand lit des parents : c'est sur ce grand lit qu'on découvre l'océan, puisqu'on peut y nager entre les couvertures, et puis ce grand lit c'est aussi le ciel, puisqu'on peut bondir sur les ressorts, c'est la forêt puisqu'on s'y cache, c'est la nuit puisqu'on y devient fantôme entre les draps, c'est le plaisir, enfin, puisqu'à la rentrée des parents, on va être puni.
Donc c'est un moment passionnant, dit dans une langue très belle et qui ne perd jamais de vue que la vérité, tant mieux ou hélas, n'est pas une abstraction mais ce qui régit la vie des êtres.
Ce n'est rien comparé à la seconde conférence, Le corps utopique, qui prenant la suite de la première ajoute à cela d'être tout à fait émouvante.
La question qui s'y pose est de savoir de quelle manière mon corps est, par rapport à moi dont il est le corps, un lieu : est-il cet ici duquel je ne peux fuir, cet ailleurs que je n'atteins jamais ? Quels liens entretient-il avec les autres lieux du monde, avec le lieu du monde ?
Les réponses à vos questions, les questions à vos réponses, ici :
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